A la recherche de l'inspiration perdue

Julot les Pinceaux prenait le frais sur les bords du lac tout en se félicitant d’avoir construit sa cabane en bord de plage lorsqu’un grand costaud de barbare l’aborda :

- « Mais c’est le petit ChapeJulot Rouge qui se promène, il va chez Mère Grand lui porter une galette et un petit pot de beurre, le petit coquin, fais voir ce qu’il y a dans ce panier ?
Quoi, y’a qu’un papier et un crayon, rien à bouffer, de qui crois-tu de moquer ? »

- « Mais heu … » , Dit vivement Julot avec sa répartie habituelle.

- « T’as intérêt à t’expliquer vite, parce que, moi, j’ai les crocs. »

- « Mais, heu … », Dit Julot, « c‘est pour faire des crobards, je cherche l’inspiration »

- « Ça se mange ? » demanda le barbare affamé

- « Mais, heu, … , En fait, l’inspiration, ça se cherche plus que ça se trouve », dit Julot, en bégayant plus que d’habitude,
« en fait ça se trouve moins que ça se cherche, un peu comme les champignons, à part que ça ne se mange pas ».

- « Tu m’prends pour une moule », dit le Barbare, « T’as intérêt à t’expliquer vite, sinon … »

- « Mais, heu …, L’inspiration ce n’est pas tout, il faut d’abord et avant tout de la technique, de la préparation … »

- « Là, c’est pour une huître que tu me prends, t’aggraves ton cas .. .»

- « T’énerves pas dit Julot en s’adaptant à son auditoire, j’vais t’dire une histoire et tu va piger : »

... à suivre ....

- « T’énerves pas dit Julot en s’adaptant à son auditoire, j’vais t’dire une histoire et tu va piger : »

Julot Les Pinceaux raconta son histoire au barbare attentif :

Dans les temps anciens, un célèbre peintre chinois réchauffait ses vieux os sur le pas de sa porte, lorsqu’un jeune seigneur vint lui commander un tableau pour illustrer les mânes de ses ancêtres.

Le marchandage fut serré et, après beaucoup de salive et de quelques menaces, les deux protagonistes se mirent d’accord sur un prix de 10 000 $, (ne vous emballez pas, il s’agit de dollars chinois du dixième siècle, de 5 bu chacun, c’est-à-dire d’une valeur de 3 sapèques et 8 cauris, c’est vous dire du peu).

Le célèbre peintre chinois torcha le tableau en deux temps et trois mouvements et réclama son dû dès que l’encre fut sèche.

- « Putain vous vous mouchez pas avec le pied » dit le jeune godelureau (ces chinois anciens n’étaient pas très policés, le parler fleuri ne s’est développé que plus tardivement), « dix mille dollars chinois du dixième siècle pour deux temps et trois mouvements, ça vous fait un tarif horaire qui décoiffe ».

- « Hé oui, petit », dit le célèbre peintre (c’était un chinois du midi)
- « Deux temps trois mouvements, ça c’est de la dextérité, mais les dix ans de préparation, c’est ça qui compte. »


Le barbare s’étant endormi, Julot s’éloigna sur la pointe des pieds, le sable crissant délicieusement sous ses pas …

... à suivre ...

Le barbare s’étant endormi, Julot s’éloigna sur la pointe des pieds, le sable crissant délicieusement sous ses pas …

- « Où tu t’casses toi, tu crois que j’dors, hein ? En fait, quand j’dors j’ai moins faim, mais faut pas m’prendre pour une crêpe … »
J’ai bien compris c’que tu m’disais, tu dessines de petits Mickeys, c’est ça ?

-« Bé, heu, … »

-« Alors tu va me faire une toile, et pour l’inspiration je vais t’aider, tu me peindras Moi !»

- « J’veux bien, mais il fait noir, et pour les poses … »

- « T’es sûr que t’es dessineux, toi, j’croirais que tu serais plutôt causeux, alors ferme-là et fais mon portrait, je r’passe dans une semaine. »

Le sable crissait délicieusement sous le pas du barbare affamé qui s’éloignait … et julot se rua vers l’auberge pour se jeter un godet.

Bon, vu que le barbare connaît la plage et que le déplacement de la cabane paraît plus compliqué que la réalisation de la toile, il a bien fallu s’y mettre …

Titulaire de la technique idoine et des années de préparation requises, le peintre doit maîtriser son inspiration, en tenant compte des désirs et des choix de l’acheteur qui constituent à la fois un cadre coercitif qui bride l’imagination et un aiguillon qui la stimule. (‘tain c’que j’cause correct moi, ça en jette. Si vous avez pigé faudra m’esspliquer, pas’que moi …)

Ici, les exigences du client se définissaient en un seul mot : « Moi » ! C’est-à-dire « Lui », parce que lui c’est pas moi, et moi c’est pas lui. (Si vous n’avez pas bien saisi, recommencez la lecture plus doucement).

Julot parle alors à son copain Les Pinceaux (un peu de schizophrénie aide parfois à gérer ce genre de stress)

Dit, les Pinceaux, tu sais, il s’agit d’un barbare et les barbares sont célèbres pour leurs destructions et leur barbarie, plus que pour tout autre chose. Après leur passage, dit-on, l’herbe ne repousse pas. Il ne reste que des ruines et des histoires d’horreur.

Ouais dit Les Pinceaux, mais les ruines sont tristes à pleurer et manquent de couleurs. D’autre part les histoires d’horreur sont rarement immortalisées par les peintres officiels, elles ne se retrouvent guère que dans les dessins d’enfants à l’imaginaire désintéressé.

C’est ça dit Julot, un dessin d’enfant, bien suggestif, bien coloré, sans le vert de l'herbe qui ne repousse pas, …

Ouais, dit Les Pinceaux, mais un barbare c’est connu pour sa barbarie, non ?

Ben, ouais, ... dit Julot

Et que fait un barbare s’il n’est pas content ?

Bé, heu, … dit Julot,

Si tu veux vraiment le savoir, continue comme ça, dit Les Pinceaux
Tu crois qu’il sera content, ton barbare, avec un tableau d’inspiration enfantine le montrant comme une horreur de la guerre ?

Bé ..., heu … dit Julot, particulièrement en verve ce soir-là

Tu sais, dit Les Pinceaux, le client a toujours raison et la propension d’un barbare à avoir raison est directement proportionnelle au poids de sa massue. Un barbare n’a même pas besoin de le dire : l’ombre de la massue parle pour lui.

OK, ok, dit Julot, les dessins d’enfants vont rester là où ils sont , ils sont un peu trop naïfs, de facture un peu trop approximative, au trait un peu trop peu assuré et aux couleurs un peu trop crayonnées …

N'en fait pas trop, dit Les Pinceaux, voilà ce que tu vas faire : "des cavaliers de lumière débouchant sous le soleil levant dans un bel élan de gloire ».
Ça en jette ça ! Prépare tes couleurs paillasse, et fais-nous du Kodachrome.
[ … ]

Chargé d’une galette et d’un petit pot de beurre, Julot Les Pinceaux arpente la plage, le tableau fini sous son bras. On y rencontre des trucs improbables dans ces dunes, une Mère Grand ou un barbare artiste … qui le croirait ?

En tout cas il est bien beau ce tableau.